L’ alcoolisme commerçant : sujet sensible et épineux n’est ce pas !?
J’ai mené une enquête sur 30 groupes Facebook de commerçants ,tous métiers confondus , posant la question ainsi : “besoin de témoignage sur l’alcoolisme chez les commerçants”
248 réponses pour l’essentielles en message privé (178 messages ) , des commentaires courageux et d’autres haineux (le sujet dérange en effet)
Je vais ici vous raconter en trame l’histoire d’un fleuriste , appelons le Jean , qui m’a autorisé à raconter son histoire , terrible , d’alcoolique festif tombé très bas.
Loin de moi l’idée d’emmener cet article vers un pointage du doigt de ceux qui tombent dans cette drogue dure aux relents de sympathie et d’air bon vivant.
Eux , finalement , ne font que glisser vers ce qui est un plaisir délassant au début.
Mais on est obligé de constater que chez les artisans de tous métiers l’alcoolisme est très présent.
1 – le contexte de l’alcoolisme commerçant
Le site officiel-prévention nous apprend que l’alcoolisme au travail peut toucher jusqu’à 15% de l’effectif d’une entreprise et que les métiers d’artisans y sont encore plus représentés.
L’alcoolisation n’épargne aucune classe socioprofessionnelle. Néanmoins, ce sont les professions les plus pénibles physiquement : ouvriers exposés à la chaleur (forges, fonderies …), professionnels du bâtiment, agriculteurs, manutentionnaires, etc., et celles qui sont en rapport avec le public : artisans, représentants et agents commerciaux, facteurs, agents de police, journalistes, artistes, etc., qui ont le plus tendance à la prise d’alcool dans un contexte professionnel.
Au delà des prédispositions individuelles, il y a des causes liées à l’organisation et aux conditions de travail, au type de management qui augmentent significativement les risques d’alcoolisation : désaccords fréquents avec le supérieur hiérarchique, manque de reconnaissance, conflits entre collègues, ennui par travail répétitif, rapports avec une clientèle exigeante ou un public difficile, … toutes les causes de stress favorisent la consommation d’alcool en entreprise car l’alcool a des propriétés anxiolytiques prouvées mais transitoires. La surcharge de travail, trop de responsabilités sans les moyens d’agir, des délais et objectifs irréalistes, le travail isolé ou de nuit sont aussi parmi les facteurs importants favorisant la consommation d’alcool.
Début d’histoire de Jean le fleuriste
Voila d’ailleurs comment Jean le fleuriste nous raconte ses débuts :
” J’avais une boutique qui marchait super bien en plein Paris .
6 vendeuses fleuristes , ouvert 7j/7 , beaucoup de clients et pourtant , malgré cette activité, je ne pouvais m’empêcher de turbiner.
Je cogitais en permanence et j’avais un peu peur de me planter pour je ne sais quelle raison.
Tout seul je me mettais une pression d’enfer et un jour un client m’a invité à venir boire un verre .
Je venais d’ouvrir 2 autres boutiques.
Moi qui suis de nature assez calme je me suis senti me révéler , me pousser des ailes et grâce à cette désinhibition je me sentais un peu plus “moi même” “
2 – Comment commencent les apprentis?
J’ai reçu une dizaine de témoignages d’apprentis reprenant ce que j’ai vécu aussi mais en sachant dire non .
Lorsqu’on est apprenti , selon les métiers , on commence tôt et arrive l’heure du casse croûte.
Quelques bouteilles se débouchent ( c’était très vrai voici encore 25 ans , moins maintenant ) .
Les gamins de 15/16 ans se voyaient servir un verre dès le matin avec un “ tiens bois ça gamin ça va te réchauffer et tu vas devenir un homme!”
Grisés , les gamins boivent n’osant pas forcément dire non ou étant très fiers de dire oui.
Je parle dans cet article de mon amour pour les apprentis d’ailleurs
Mon bout d’histoire
J’ai eu la chance , pour ma part , d’être à ce moment la dans de grandes équipes mais j’étais le fils du patron.
Pas qu’on ne me proposait pas d’alcool , non non , mais j’avais tellement entendu le midi à table dans ma famille mes parents parler de ce fléau que je n’aurais jamais voulu vraiment tenter le coup.
Je suis un buveur d’occasion , de bon vin et de bière et même avec mes amis je n’ai que rarement été tenté de boire trop.
Coup de chance d’une bonne nature peut être : nous ne sommes pas tous égaux devant l’alcool.
En tout cas notre responsabilité adulte devant les jeunes , les apprentis ou autres , est clairement engagée.
Nous avons tendance à oublier la fragilité de ces âges ou des familles nous confient leurs enfants / ado / pré adultes .
3 – Alcoolisme commerçant :Quelles conséquences réelles ?
10% à 20% des accidents du travail sont dus à l’alcool. (juritravail 2019 )
Au dela de ça on sait aussi ce qu’amène ce problème :
- inefficacité
- agacement et mauvaise ambiance entre collègue
- désorganisation
- risque de coma
- …
Histoire triste de conséquence
Je reprend ce dernier point “risque de coma” pour vous raconter l’histoire d’un de mes anciens employés et de l’alcoolisme commerçant.
Inutile de le nommer , j’adorais ce garçon et il avait le bon gout d’être bon dans son métier , agréable et drôle et d’une fiabilité sans faille qu’il neige ou qu’il vente.
Malheureusement son histoire personnelle était plus dure : séparation , moins de possibilité de voir ses enfants , mauvais potes ,…
Et nous voyons petit à petit ce mec fabuleux glisser , glisser , … devenir parfois agressif et surtout mentir beaucoup .
Il gardait des bouteilles de Ricard dans sa voiture prétextant une pause clope pour aller prendre une gorgée .
Mon rôle de patron à ce moment la devient très difficile envers ce mec que j’aimais bien .
Je lui en parle et il nie malgré l’évidence de l’odeur anisée.
Puis je dois sévir car il devient dangereux pour lui et par peur pour le reste de l’équipe.
Je lui monte un dossier d’aide , contactant des associations , la médecine du travail ,… mais il refuse la main tendue et il glisse toujours plus loin.
Vacances et délirium tremens
Parti en vacances je le préviens que si la cheffe me dit qu’il est venu grisé pendant le travail je serais tristement obligé de le sanctionner.
Nous nous respections beaucoup et il sait à ce moment la que je suis sérieux.
10 jours de vacances , plage féérique au bleu fou , on m’appelle.
Il vient de faire une crise d’épilepsie , les pompiers l’emmènent , verdict : délirium tremens.
Il m’avait écouté , le manque fut plus fort que lui.
Retour de vacances , il me donne sa démission et s’en va continuer de détruire son bout de vie.
4-Comment gérer un collaborateur qui boit trop
Revenons 2 minutes vers notre fleuriste.
Ces affaires vont tambours battants ! et voila que ses 3 boutiques cartonnent .
Il me dit :
“A ce moment la je me suis même payé le voyage à Deauville en hélico juste pour aller manger des fruits de mer au bord de l’eau et revenir dans la journée “
Belle réussite mais il ajoute :
“J’emmenais mes nouveaux potes qui payaient l’apéro , le vin , le digestif ,…on est rentré défaits de cette escapade , plein dans l’hélico retour , faisant même “chier ” le pilote pour qu’il fasse un looping!”
Rappelons une chose en passant : le patron , si ce n’est pas lui qui boit , est responsable de ses employés au travail mais aussi de leurs trajets!
Alors comment gérer ?
Eviter de juger
Réaction facile de dire ” regarde il a encore ses chaussures à bascule” mais nous parlons ici d’une réelle détresse , d’une maladie profonde et de la plus puissante des addictions.
“Si le collaborateur sent qu’on va le juger ou le condamner, on peut être sûr que la situation se terminera mal. Avant toute chose, il faut comprendre sa souffrance”, insiste Patrice de Dompsure spécialisé dans l’accompagnement des salariés dépendants
Faire un entretien individuel
Ben oui , la discrétion est aussi importante que le problème est réel.
Cet entretien doit être d’humain à humain : la hiérarchie ici ne doit pas avoir sa place.
Le simple rappel de la loi cependant doit figurer car il en va de la responsabilité de l’employeur, qui a l’obligation d’interdire la consommation d’alcool au sein de ses locaux (article L 232-2 du code du travail)
Il doit assurer la sécurité physique et mentale de son personnel.
Rappelons ainsi qu’en cas de non-respect de ces obligations, sa responsabilité civile, voire pénale, pourra être engagée pour faute inexcusable.
Sa responsabilité civile pourra également être engagée en dehors du contrat de travail : un employeur s’est ainsi vu condamné pour avoir laissé partir un salarié éméché à la suite d’un pot d’entreprise.
Chercher ensemble une solution , un accompagnement , une prise de conscience.
Mon point de vue de manageur ici est simple : donner vraiment de l’humanité pleine et sans retenue.
Laisser sa chance
Après ce premier échange, c’est au salarié de relever le défi.
“Il faut le juger sur ses efforts, non sur ses résultats”, rappelle Patrice de Dompsure.
En ce sens, le patron peut s’appuyer sur son équipe en les prévenant discrètement qu’il faut aider et pas condamner.
Aider c’est aussi être exigeant pour guérir l’alcoolisme commerçant.
Orienter
Petit à petit l’idée de se faire aider grandi et à ce moment la on peut demander de l’aide aux associations.
Rappelons que moins boire ou arrêter de boire est extrêmement difficile seul.
5 – Alcoolisme commerçant : Quelques chiffres?
Et bien maintenant qu’on a essayé d’aider parlons un peu de chiffre.
Il n’y a pas d’études précisément sur le commerce ou l’artisanat .
Quelques statistiques Insee ou de la médecine du travail mais rien d’hyper exploitable.
Je vous met en ligne à la fin de cet article un tas de ressources super bien faites et en livre .pdf
Bien que le volume global d’alcool pur consommé en France (11,7 litres par habitant de 15 ans et plus en 2017) soit en diminution depuis les années 1960, essentiellement en raison de la baisse de la consommation quotidienne de vin, la France reste parmi les pays les plus consommateurs d’alcool au monde, se situant au sixième rang parmi les 34 pays de l’OCDE.
La consommation d’alcool est un fort enjeu de santé publique et fait partie des trois premières causes de mortalité évitable avec 41 000 décès en 2015 par exemple soit 10X les accidents de la route.
C’est une épidémie de COVID chaque année.
Le fleuriste qui n’en ai plus un
Jean petit à petit ne travaille plus : il boit.
Il se lève et se vaporise d’alcool , se détruit dès le matin et sors le soir pour aller se saouler.
Ses affaires déclinent vite ! et sa peur première de tout perdre arrive en 3 mois .
Il doit se séparer de 2 magasins sur 3 et ses ex employés l’emmènent bien sur aux prud’hommes et gagnent leur due : logique.
Puis le dernier magasin sombre : Jean s’imbibe et devient “un baba au rhum” selon lui.
Il se jette dans la rue , picole et voit parfois son reflet dans les vitrines de magasin , la honte n’est même plus la : il lui faut sa dose.
Il tend la main , récolte quelques pièces qu’il part boire et manger parfois .
On ne parle plus d’alcoolisme commerçant car il n’a même plus possibilité de rentrer dans un commerce.
Le voila totalement SDF.
6 – Trouver de l’aide
Arrêter de boire et de faire boire dans nos métiers est difficile tant les “traditions” sont fortes.
Pourtant on sait bien que c’est un enjeu majeur de bien être général .
Alors comment faire ?
Casser les traditions pour vaincre l’alcoolisme commerçant
C’est bien à nous tous que reviens cette responsabilité .
Ici il n’y a plus de patron employés qui tienne vraiment car le sujet mérite une prise de conscience forte.
Commençons par oser dire non , dire stop et cela quitte à passer pour le rabat joie.
Boire un verre de l’amitié de temps à autre n’en prendra que plus de plaisir et de saveur.
Contacter des pro
Sur “https://www.alcool-info-service.fr/” tout est mis en place pour aider de manière gratuite et anonyme.
Un numéro de téléphone , un tchat en ligne , un mail ,…tout est possible pour aider ceux qui boivent trop comme ceux qui les côtoient .
Ce tchat automatique permet de s’auto évaluer et est super bien fichu.
Demander ou donner son aide est juste la base car l’alcoolisme est une plaie dont chacun doit mesurer l’ampleur.
Ce Tedx est fabuleux
Stéphane Maillard explique parfaitement que son mal-être , son besoin d’assurance et son syndrome de l’imposteur sont à l’origine de son alcoolisme.
Le regard insupportable qu’il n’ose plus poser sur son amoureuse qui l’enjambe un matin ou ,trop saoul , il a dormi par terre.
L’alcool comme médicament et poison , comme palliatif , …
Les “si tu m’aimes tu dois changer” et la honte extrême.
Poignant .. .
7 – Alcoolisme commerçant : Pour conclure
Jean a été ramassé par les services sociaux et il a fait 3 cures .
Maintenant le Baclofene l’aide et il a retrouvé une vie , un appartement et une femme qui l’aide tous les jours à être sobre.
Il est remonté et a compris que chez lui cette addiction existera toujours mais il va bien.
J’ai eu des témoignages de TOUTES les professions et des 2 sexes sur l’alcoolisme commerçant.
Bouchers, coiffeuses , restaurateurs , cordonniers , fleuristes , … le mal est partout et il est vrai un peu sur représenté chez les commerçants.
perso:
J’avais 17 ans lorsque j’ai rencontré ma chérie avec qui je suis resté 12 ans.
Sa mère profondément alcoolique et infirmière nous a permis de vois que rien n’y fait : on ne peut pas aider par la force.
Jamais de cure pour elle , trop d’orgueil , et plus de 20 ans plus tard le point mort.
Je me souviens très souvent de cette femme intelligente bouffée par sa maladie.
Que dit la loi?
L’article R4228-20 du Code du travail stipule que seuls la bière, le vin, le cidre et le poiré sont autorisés sur le lieu de travail. (liste étrange à notre époque)
L’employeur ne doit pas laisser entrer ou séjourner une personne ivre sur le lieu de travail.
Il peut également prendre des mesures pour sanctionner un salarié ivre.
L’employeur peut prouver l’ivresse d’un salarié en procédant à un contrôle d’alcoolémie si cette disposition est prévue par le règlement intérieur.
L’alcoolisme ne peut être un motif de licenciement.
En revanche, l’état d’ébriété est un motif de licenciement s’il a des conséquences négatives sur la sécurité ou l’image de marque de l’entreprise.
Ressources
TabAlcool2020 ( l’état des lieux de la consommation d’alcool – décembre 2020 )
L_alcool_sur_les_lieux_de_travail (le guide complet en 20 pages pour aider ceux qui sont confrontés à ce problème)
AIDONS SI ON PEUT /Faisons nous aider absolument et en tant que commerçants artisans cessons de proposer aux apprentis sous couvert de sympathie.
Soyons solidaires et intelligents!
Soyons ensembles des commerçants accomplis et heureux.
A vous de jouer !
Aidez en partageant cet article.
4 commentaires
Amandine
C’est vrai qu’il est difficile de résister à la pression sociale. Je me souviens de ma gêne, de mon mal être à chaque fois que je disais non sur ma période 15-20 ans et ce n’était que le rappel de mon oncle s’étant suicidé dû à son alcoolisme qui me faisait tenir face aux remarques de “juste un verre”. Je n’avais cependant pas conscience que les chiffres étaient si élevés… Merci pour cet article poignant et bienveillant.
Gaëlle
Très beau, un article comme il en faudrait plus, sans jugement mais sur l’intérêt de parler. Mon père était dans cette situation, restaurateur, je l’ai toujours vu avec un verre sur le plan de travail. C’est difficile pour l’entourage, d’autant que beaucoup reste dans le dénie pour ne pas se confronter à la détresse de l’autre.
Nadia ARNAUD
Merci pour cet article qui me rappelle des souvenirs de l’époque où j’étais étudiante. Ayant eu plusieurs jobs étudiants dans le secteur de la restauration ou de la nuit, mes employeurs avaient malheureusement pour la majorité un problème avec l’alcool. À l’époque, ces personnes me faisaient beaucoup sourire mais avec le temps j’ai compris qu’ils cherchaient à cacher un mal être. L’alcool est une drogue légalisée et peu prendre des ampleurs des plus désastreuses.
Marie
Bel article qui met les mots sur les maux. Ce sujet renvoie à la responsabilité de chacun envers sa propre vie mais aussi envers les autres. Détecter, aider, accompagner pour les uns, mais aussi accepter d’avoir besoin d’aide pour les autres parce qu’on ne sait pas toujours comment faire autrement, il est temps d’éduquer et de libérer la parole.